BAC 2022 : la désorganisation à son comble

En cette fin d’année, la réforme du lycée et le contrôle continu révèlent une nouvelle fois leurs effets délétères. Il est urgent de revenir à une évaluation terminale, anonyme et nationale plutôt que ce gloubi-boulga informe qui dépossède les cadres A que nous sommes de leur métier.

Convocations quand tu nous tiens…
En cette fin d’année, les collègues auront été convoqué.e.s jusqu’au dernier moment et parfois à la dernière minute ! Si personne ne conteste le fait que nous sommes au service de l’Etat, on pourrait aussi s’attendre à un peu plus d’anticipation, au lieu de quoi nous voilà parfois sommé.e.s de nous rendre à tel ou tel endroit le matin même pour l’après-midi ! Ce point est loin d’être anecdotique, notamment lorsque l’on fait passer un examen. Ainsi, certain.e.s collègues de lettre ont appris très tardivement qu’ils/elles étaient convoqué.e.s en tant que remplaçant.e.s pour l’oral, ce qui peut s’avérer périlleux au vu du travail à accomplir. Il fut un temps où l’on demandait aux collègues les classes dans lesquelles ils/elles enseignaient et l’endroit où ils/elles souhaitaient faire passer l’examen. Apparemment ce temps est révolu et nous devons être à disposition de l’institution. On n’aura jamais autant parlé de bienveillance dans l’éducation nationale tout en faisant exactement le contraire.

Dans certains centres d’examen pour le grand oral, des collègues qui passaient par là ont eu la malchance d’être réquisitionné.e.s pour faire office d’examinateur, sans aucune convocation ! Que dire des collègues de collège mobilisé.e.s pour aller faire passer le grand oral ou le bac de français ? Ou encore des collègues missionné.e.s pour être de jury de délibération de bac sans avoir ni corrigé ni fait passer les oraux obligatoires (spé et GO) ? Faut-il rappeler le cas de ces élèves convoqué.e.s pour le grand oral qui ont dû être reconvoqué.e.s car il n’y avait pas de jury ? Nous avons fait remonter ces situations problématiques au niveau du rectorat. A cela, l’administration a une réponse bien rodée : « c’est parce que les enseignants se mettent en arrêt maladie que l’on est obligés de mobiliser des personnels en dernière minute ! » Mais c’est bien sûr ! Il fallait y penser, une telle désorganisation ne peut trouver son origine que chez les enseignants qui sont décidément responsables de tous les maux, l’année même où l’on aura vu un ministre annoncer la mise en place du nouveau protocole sanitaire depuis Ibiza. Le rectorat d’Aix-Marseille oublie de dire que ce sont ces mêmes services qui ont convoqué des collègues en congé maladie longue durée, en mi-temps thérapeutique ou parfois même décédé.e.s !!! Quand on convoque mêmes les morts on peine à croire que les raisons d’une telle désorganisation en sont les seuls arrêts maladies ! Une telle réponse en dit long sur la considération de la haute fonction publique à l’égard des enseignant.e.s : mépris et dédain. N’hésitez pas à nous faire remonter le maximum de situation problématique, de façon à ce que nous puissions remonter auprès des services le plus de cas précis !

Quand on te donne d’une main ce qu’on te retire de l’autre…
On se souvient que le SNES-FSU a arraché au ministère la possibilité, pour les collègues convoqué.e.s pour la correction des épreuves de spécialité, des demi-journées banalisées pour pouvoir effectuer leur mission. Ces mêmes collègues ont eu la surprise de voir apparaître des retraits de salaires sur leur fiche de paye ! On retrouve ici les conséquences de textes pris sous la présidence de Nicolas Sarkozy (article 5 de l’arrêté du 13 avril 2012 ) en application du décret n°2010_235 du 5 mars 2010 relatif à la rémunération des agents publics participant à titre accessoire à des activités de formation et de recrutement. Ainsi, depuis plus de dix ans, les collègues convoqué.e.s pour des jurys de bac, de BTS, de concours de recrutement ou des formations subissent ces ponctions sur les HS. Ces dispositifs iniques considèrent les missions pour examen comme des « activités accessoires » et visent ainsi à faire des économies sur les dos des personnels au nom de la réduction des dépenses publiques (ce qui n’empêche pas de commander des études à des cabinets privés comme Mac Kinsey à des prix très compétitifs….). Le SNES-FSU s’est battu contre ces textes dès leur mise en place. En cette période d’inflation et de baisse du pouvoir d’achat, à peine compensée par l’augmentation des salaires de 3,5%, ce type de mesure apparaît encore plus injuste ! Le SNES-FSU se battra pour obtenir l’abrogation de ce décret et de cet arrêté !

Le bac : des « activités accessoires » pour des rémunérations accessoires
Les textes prévoient différents taux de rémunération en fonction des missions accomplies, rémunérations qui paraissent bien faibles au regard du travail accompli par les correcteurs dans des conditions qui se sont complexifiées et parfois alourdies, notamment avec la numérisation des copies et l’usage du logiciel Santorin. Le SNES-FSU continuera à se battre pour obtenir une revalorisation de ces missions qui, loin d’être accessoires, sont essentielles ! De même, le ministère continue de penser que les épreuves d’ECE (Évaluation des Compétences Expérimentales en Physique chimie et en Sciences de la vie et de la Terre) relèvent d’une forme de bénévolat. Il est impératif que le ministère prenne enfin en considération la responsabilité et la charge de travail inhérentes à ces épreuves en rémunérant les évaluateurs et les évaluatrices. Le SNES-FSU exige qu’une décharge de cours pour les enseignant-es de physique chimie et de SVT soit actée par tous les rectorats en amont de la passation de ces épreuves afin d’en assurer leur préparation. On pourrait d’ailleurs imaginer que cette décharge puisse être étendue aux professeur.e.s de lettres.

Être professeur.e de lettres et de philosophie : un sacerdoce.
La réforme du lycée et du baccalauréat conduisent à des fins d’année très diverses en fonction des disciplines. Enseigner les Lettres en lycée, avec les programmes infaisables (même s’il y a eu un allègement cette année en raison du covid) et le format actuel des épreuves d’examen, conduit à une charge de travail démesurée. La fin d’année a été particulièrement difficile entre correction de copies et épreuves orales. L’inspection de lettres a fait le choix de limiter le nombre de copies à 35 pour les collègues convoqué.e.s à l’oral. Les collègues convoqué.e.s pour le seul écrit avaient entre 60 et 90 copies. D’année en année le délai de correction de l’écrit diminue. Cette année, les collègues ont disposé de leurs copies le 21 juin pour une épreuve ayant eu lieu le 16. Sachant qu’il vaut mieux avoir terminé avant le début de l’oral (difficile de se remettre à corriger des copies à 19h après une journée d’interrogation), les collègues avaient 3 jours ½ de correction en enlevant le samedi et le dimanche.

L’oral est, par bien des aspects, une véritable épreuve intellectuelle et physique, surtout en période de canicule. Convoqué.e.s sur quatre jours, de 8 h à 18 h, avec une moyenne de 55 candidats, on mesure tout de suite l’ampleur de la tâche, d’autant que l’oral nécessite une réelle préparation : lecture cursive, analyse des descriptifs des collègues (4 à 5 en moyenne selon les jurys), étude des 16 textes présentés par les candidats, élaboration d’une question de grammaire pour chaque élève…. . Ce travail débute loin en amont à partir de la prise de connaissance des descriptifs le 2 juin ! Si pour les collègues de lycée la tâche a été gigantesque, que dire des collègues de collège convoqué.e.s en nombre important cette année. D’autant que le travail ne s’est pas limité à la seule EAF (épreuves anticipées de français). Certains collègues ont été convoqué.e.s, en amont, pour la correction de l’épreuve de spécialité HLP, le grand oral, les corrections écrites de BTS, mais aussi en aval pour les jurys de BTS la première semaine de juillet ainsi que le jury de bac oral de rattrapage. Au vu du travail accompli, on peut regretter la faiblesse des rémunérations de ces taches que le ministère qualifie, un peu rapidement, d’accessoires….

La correction numérique ulcère de nombreux personnels, notamment en raison des nombreux dysfonctionnements du logiciel et du contrôle exercé par les inspecteurs sur l’avancée des corrections. L’avantage est qu’il est possible de les solliciter directement lorsque l’on a des interrogations. Par rapport à l’an passé, les copies étaient dans l’ordre. Certain.e.s collègues trouvent qu’avec le numérique la correction est plus superficielle et qu’il est beaucoup plus difficile de mettre en regard des copies, ce qui peut entraîner des injustices. Aucune autre discipline n’est à ce point sollicitée, surtout depuis la mise en place de la réforme du lycée. Les professeur.e.s de philosophie sont les autres victimes collatérales de la réforme. Cette année, les sujets de philosophie de la voie technologique ne correspondaient pas aux attendus de l’épreuve. La correction de copies « dématérialisées » sur Santorin est lourde et aliénante. La lecture des copies sur écran peut se révéler fatigante. A cela A cela s’ajoute des problèmes techniques (inaccessibilité pendant plusieurs heures, coupures, lots de copies mal scannées, illisibles) faisant perdre un temps considérable aux correcteurs.

Harmoniser pour quoi faire ?
Le bac version Blanquer se traduit par une dépossession de ce qui constitue, au même titre que le fait d’enseigner, l’acte d’évaluation. La mise en place du contrôle continu s’est accompagnée d’une élévation générale des notes. Chaque note devenant « certificative », la pression de l’évaluation s’en trouve accrue, altérant la relation pédagogique entre les enseignants et les élèves. Dès la mise en place de la réforme, le SNES-FSU avait pourtant alerté le ministère sur les dangers que faisait planer la fin de l’évaluation terminale, nationale et anonyme. A cela, le ministère n’a répondu que par le dédain et le mépris. Des tentatives de colmatage ont été entreprises cette année à travers les plans locaux d’évaluations, les moyennes soi-disant significatives et les pseudo-épreuves de remplacement. Comment recréer de l’égalité de traitement alors que l’architecture du lycée et du bac version Blanquer érige l’inégalité en principe de fonctionnement ? L’équation n’est pas facile à résoudre et affecte aussi le déroulement du baccalauréat et l’harmonisation.

A la faveur de la généralisation de la numérisation des corrections, l’institution dépossède les enseignants de tout un pan de leur métier. Comme le signalent les inspecteurs du SUI-FSU, ce n’est pas parce que la technique rend possible l’harmonisation de masse, à coup de clics, qu’elle est légitime. Celle-ci n’apparaît plus que comme un rituel complètement factice au cours duquel il s’agit de s’assurer que les moyennes sont élevées.

Autrefois (pour ne pas dire jadis), en lettres, les collègues harmonisaient les notes en mettant en regard écrit et oral. Ce n’est plus possible puisque dans un même jury on ne fait pas passer les mêmes élèves à l’écrit et à l’oral. La réunion du mercredi 6 juillet pour l’harmonisation ne sert à rien, si ce n’est à faire des statistiques…. De fait, les collègues sont amené.e.s à s’auto-harmoniser le 1er juillet (soit 2 jours avant la clôture des corrections). Après réception de la moyenne académique par série des lots corrigés, il s’agit de corriger les notes de manière à ne pas avoir une moyenne inférieure de plus d’un point à la moyenne académique (en revanche elle peut être supérieure autant que l’on veut…).

Les notes des épreuves sont trop disparates entre spécialités ? Entre celles des Jours 1 et 2 d’une même spécialité ? Qu’à cela ne tienne ! Le Ministère a enjoint les inspecteurs de faire converger les moyennes lors des commissions d’harmonisation qui cette année ont siégé en formation tellement restreinte que les correcteurs en ont été quasi totalement évincés ! Que dire des jurys de délibération du bac où sont convoqués des collègues qui n’ont pas corrigé les épreuves en question et/ou n’enseignent pas la spécialité et/ou n’enseignent même pas en terminale ? Il arrive que les enseignants ayant corrigé les spécialités soient convoqué.e.s au titre d’une autre spécialité dans un jury où celle-ci n’existe pas ! Les secrétaires de jury envisageaient même de mutualiser les enseignants pour l’ensemble des jurys (on n’ose pas imaginer ce que cela donnerait à l’oral de rattrapage). Ce désordre organisé est caractéristique du management par l’instabilité, ce que Danièle Linhart appelle aussi la précarisation subjective du salarié qui ne se reconnaît plus dans le métier qu’on lui demande de faire. Chez beaucoup d’entre nous, la tentation est grande…. de fuir

Le bac blanquer : un bac très idéologique
Les candidats qui ont composé sur l’épreuve de spécialité SES du jeudi 12 mai 2022 ont eu le choix, comme il est prévu par les textes, entre un sujet de dissertation et deux sujets d’épreuve composée.
Dans le cadre de ces deux derniers sujets il était demandé aux candidats de « montrer », que :
– « l’approche en termes de classes sociales, pour rendre compte de la société française, peut être remise en cause » ;
– « l’innovation peut aider à reculer les limites écologiques de la croissance » ;
– « l’action des pouvoirs publics en faveur de la justice sociale peut produire des effets pervers ».
Déclin des classes sociales, action inopérante de l’État pour la justice sociale, mais nécessité d’innover pour rendre la croissance compatible avec l’écologie : le tableau dressé par les sujets tient d’une vision idéologique orientée et déconnectée des réalités. On est loin de sujets devant permettre de nuancer les raisonnements. Après un mouvement social comme celui des gilets jaunes, comment pourrait-on imaginer qu’il y a des classes sociales en France ? Au fond les pauvres ne sont que des riches en devenir… Comment peut-on penser que les aides sociales puissent permettre aux plus fragiles de s’émanciper socialement alors qu’elles ne font qu’entretenir leur fainéantise ? Il s’agit bien à travers ces sujets de faire de l’école un instrument de propagande des doctrines néolibérales. Pour le SNES-FSU, il est impératif de se ressaisir de nos métiers et de nos disciplines ! Le combat ne fait que commencer.

Actions
Il n’y a pas de fatalité ! Plus que jamais, la lutte est nécessaire pour faire respecter nos métiers, nos qualifications et notre professionnalité ! Les mobilisations de janvier ont permis d’obtenir des gains (report des épreuves de spécialité en mai, abandon de l’attestation en langues). Le SNES-FSU continuera de se battre pour faire entendre la voix de la profession dans son ensemble ! Il est impératif d’abandonner la réforme du lycée, de revenir à des épreuves terminales anonymes nationales, de revenir à un cadrage national en termes de programmes. Les pistes d’action sont nombreuses. Nous vous invitons à faire remonter vos mécontentements et vos insatisfactions, y compris auprès du rectorat ! Nous continuons, de notre côté, d’interpeller l’institution qui n’a de cesse de vanter les vertus du dialogue social mais qui est étonnamment sourde à nos revendications. A partir de la rentrée, et tout au long de l’année, le SNES-FSU va relancer des stages disciplinaires. Nous pensons qu’il est important de nous réunir pour discuter de nos métiers et de nos enseignements. Dans le même ordre d’idée, nous organiserons des stages sur les enjeux de la démocratisation du système scolaire et sur des points aussi importants que l’évaluation et les questions salariales.