6 octobre 2019

Notre santé au travail

Les établissements scolaires face aux risques industriels majeurs

L’accident majeur survenu à Rouen dans la nuit du 25 au 26 septembre à l’usine Lubrizol a montré la vulnérabilité des zones urbaines aux catastrophes industrielles. Pire, il a montré aussi l’impréparation du ministère de l’éducation nationale, des rectorats et des DSDEN à ce type d’accident. Qu’en est-il dans notre académie qui connaît une forte concentration d’industries potentiellement très polluantes ?

Depuis l’accident industriel de Seveso, survenu près de Milan en 1976 et qui avait conduit à des centaines d’hospitalisations et tué des milliers d’animaux, une norme européenne a été créée en 1982, répertorie les sites industriels car ils présentent un risque important de pollution environnante en cas d’accident. La directive dite « Seveso » instaurait un principe de surveillance des installations dangereuses par les exploitants et de contrôle par les autorités publiques. « Seveso 2 » date de 2003 et « Seveso 3 » est entrée en vigueur le 1er juin 2015. Les établissements industriels classés Seveso sont environ 1200 en France. Ils sont classés en deux catégories : « seuil haut » et « seuil bas », selon leur dangerosité.

Académie d’Aix-Marseille Alpes de Haute-Provence Hautes Alpes Bouches-du-Rhône Vaucluse
Seuil Bas 0 0 26 4
Seuil Haut 4 0 46 2
Stockage souterrain 2 0 2 0

Notre académie totalise 86 sites industriels dont 52 appartiennent à la catégorie « seuil haut », avec une forte concentration dans les Bouches du Rhône (deuxième département de France en la matière). Seuls ceux considérés comme étant les plus dangereux font l’objet d’un Plan Particulier d’Intervention (PPI). Si l’on considère, comme les spécialistes, que la pollution engendrée par une explosion ou un incendie peut s’étendre à un rayon de plus de 20 km autour de l’usine, on comprend vite l’enjeu pour nos établissements scolaires.

Quelles sont les obligations de l’État ?
L’État a un devoir d’information et de protection des populations concernées. Le PPI, établi sous l’autorité du Préfet, est la réponse planifiée pour faire face à un danger menaçant la population. Il est spécifique aux risques d’un site industriel. Il doit prendre en compte tous les effets identifiés dans l’étude des dangers. Il prévoit la mobilisation des services de secours publics et de l’ensemble des services de l’État concernés. Le PPI est déclenché par le Préfet lorsque les conséquences d’un accident grave dépassent les limites de l’usine.

Que doivent faire les établissements scolaires face aux risques majeurs ?
Le Code du Travail (article L4121-1) spécifie que l’employeur prend les mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
• des actions de prévention des risques professionnels ;
• des actions d’information et de formation ;
• la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
Les EPLE se situant dans une zone PPI doivent mettre en place un Plan Particulier de Mise en Sûreté (PPMS). Celui-ci prévoit, en cas d’alerte, la conduite à tenir et les modalités de communication vers l’extérieur. Il est déclenché par le chef d’établissement et permet de réduire la vulnérabilité des élèves et du personnel de l’établissement dans l’attente de l’arrivée des secours. Ce dispositif a été reconsidéré après étude des événements survenus à Toulouse lors du drame de l’usine AZF en 2001.
L’organisation du PPMS : Pour chacun des risques majeurs auxquels un établissement scolaire est exposé et pour chacune des situations d’activités identifiées (temps scolaire ou hors temps scolaire), le PPMS doit permettre de répondre aux questions suivantes :
• Quand et comment déclencher l’alerte ?
• Où et comment mettre les élèves et le personnel à l’abri ?
• Comment gérer la communication avec l’extérieur ?
• Quelles consignes appliquer dans l’immédiat ?
• Quels documents et ressources sont indispensables ?
Le PPMS doit déterminer la répartition des missions et les consignes particulières à appliquer. Il permet d’organiser les fonctions du personnel administratif et de vie scolaire en période de crise, de déterminer des personnes ressources, des responsables de zones... Un exercice annuel, en plus et distinct des trois exercices incendie obligatoires, doit être effectué. Ces exercices sont considérés comme participant de l’éducation à la responsabilité individuelle et collective des élèves en assurant la connaissance des risques et des mesures de prévention et de protection, en développant des comportements civiques et solidaires.

Qu’a prévu l’institution en cas d’accident ?
Regardons ce qu’il s’est passé à Rouen le 26 septembre. Un arrêté préfectoral a ordonné la fermeture des établissements scolaires de 12 communes autour du lieu de la catastrophe. Mais l’arrêté était trop restrictif et certaines communes qui subissaient directement la pollution et se trouvaient sous l’immense nuage de pollution, confrontées à des retombées de suie, ont dû « improviser » : dans ces communes les directeurs d’école et chefs d’établissement ont été laissés complètement seuls par le rectorat et la DSDEN. Ils ont dû endosser la responsabilité de fermer leur établissement sans savoir si leur hiérarchie l’approuverait, ce que bien entendu peu ont fait immédiatement.
Le principe de précaution a donc été apprécié diversement par chaque acteur, des parents d’élève pouvant se retrouver dans une situation où l’un de leurs enfants était renvoyé à la maison, alors que 200 mètres plus loin un autre de leurs enfants était accueilli par son établissement comme si rien ne s’était passé. 36 heures après la catastrophe, aucun parent ni personnel n’avait reçu du ministère de l’éducation nationale d’information sur la situation.
Le vendredi 27 septembre, le ministre s’est rendu sur place et a affirmé qu’il n’y avait aucun danger, que les écoles rouvriraient toutes le lundi suivant, sans préciser qui les décontaminerait ni comment. Il semble qu’on ait simplement demandé aux agents de service de procéder à un ménage complet, sans se soucier de la toxicité éventuelle des coulées de suie qu’ils ont en charge de faire disparaître. La FSU de Seine-Maritime a dénoncé à ce sujet un « silence assourdissant » du ministre et de la rectrice.

Et si cela arrivait à Aix-Marseille ?
Sur le papier la prévention paraît à peu près satisfaisante : arrêté préfectoral de fermeture des établissements publics en cas de dangerosité établie, directeurs d’écoles et chefs d’établissement prévenus par SMS, confinement si besoin avec application du PPMS. Encore que la sirène d’alerte, faute d’éducation aux risques, sera sans doute mal comprise de la population et donc des parents : il y a fort à parier que ce sont plutôt les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continu, avec toute la rigueur journalistique qu’on leur connaît, qui donneront l’alerte et qui conduiront à des situations de panique en cas d’accident.
Bien souvent, les exercices d’entraînement au confinement ou à l’évacuation ne sont pas sérieusement effectués dans les établissements scolaires et on peut craindre qu’en cas de réel danger, et à supposer que la bonne décision soit prise, tout ne se déroule pas comme prévu. Par exemple, combien d’établissements du second degré seraient-ils capables de protéger leurs grandes fenêtres avec des rouleaux de film adhérent en cas d’émanations de gaz ou de fumées toxiques ? Enfin, comment mesurer la dangerosité de fumées ou de gaz si l’on n’est pas soi-même un expert ? Le principe de précaution devrait alors prévaloir mais il se heurte trop souvent au manque d’initiative locale et à la peur de sanctions de la hiérarchie.

Les représentants SNES-FSU en CHSCT interviendront à nouveau sur ce sujet pour que les chefs d’établissement et les directeurs d’école soient mieux formés aux risques majeurs, pour que les liens préfecture et protection civile / rectorat et DSDEN / chefs d’établissements, IEN et directeurs d’école soient fluides et que des consignes claires soient rapidement transmises en cas d’accident.